Biographie
MON PARCOURS
Je naquis en 1958 à Kuibyshev, ville centrale de Russie, appelée « Samara » avant et après l’époque soviétique. Pour une grande majorité de mes contemporains, mais tout particulièrement pour ma famille, la Grande Guerre Patriotique1 d’URSS n’était pas seulement une histoire que l’on pouvait lire dans les manuels. Ce fut aussi une tragédie personnelle : mon père servit dans l’Armée Rouge, son jeune frère et son beau-frère furent tués au combat. Tout ceci sans mentionner tous les biens qu’ils perdirent lorsque ma famille, fuyant l’occupation nazie en Ukraine, se réfugia à Kuibyshev. Mais beaucoup d’autres connurent la même situation.
Sur les bancs de l’école j’avais déjà réalisé que la société soviétique n’avait rien à voir avec « le rêve de l’hummanité devenu réalité ». J’aimais l’histoire et, une fois l’école finie, mon diplôme avec mention me permit d’entrer dans l’université de mon choix. Je ne me faisais pourtant aucune illusion sur les possibilités, pour un historien professionnel soviétique tel que moi, de mener des recherches objectives et honnêtes. En conséquence, je choisis l’ingénérie aéronavale. Je passai cinq ans à l’Institut d’Aviation de Kuibyshev, puis six autres années en tant que dessinateur aéronaval. Ces années ne furent pas perdues, elles me donnèrent des connaissances inestimables dans le tri et l’analyse de l’information.
L’histoire de la Seconde Guerre Mondiale resta ma véritable passion. J’avais lu les travaux de presque tous les historiens occidentaux que l’on pouvait trouver en URSS : Halder, Tippelskirch, Butler, Liddell, Hart... Et là, un petit miracle se produisit : en dépit de toutes les lois, un bibliothécaire négligent me laissa lire de vieux journaux soiétiques. Le lecteur occidental sera sans doute étonné de découvrir que les journaux soviétiques d’avant-guerre et de la période de la guerre n’étaient pas accessibles aux lecteurs sans vérification de sécurité préalable.
C’était en 1983, Brezhnev était mort et Andropov, son successeur, « resserrait les vis » contre tout ce que l’URSS comptait de libertés civiles. Au même moment, je tournais les pages jaunissantes de la Pravda2 et découvrai le « communiqué commun des commandements soviétique et allemand » accompagné d’une immense carte de la Pologne avec « la ligne de démarcation des intérêts d’Etat de l’Allemagne et de l’URSS », et de la photographie souriante de Molotov et Ribbentrop, la marionnette du « gouvernement populaire de Finlande ». Tout ceci avait été soigneusement oublié, effacé des mémoires et des manuels d’histoire soviétiques.
En 1984 et 85, je rédigeai ma première « étude historique », mon approche des événements de 1939-1941, dans un gros carnet. Je conclus que durant la première partie de la Seconde Guerre Mondiale, l’URSS agit comme un agresseur, initiant l’invasion de la Pologne en septembre 1939. Ce n’était qu’un travail académique à peine novateur : le partage de l’Europe de l’Est entre Staline et Hitler n’était pas une nouveauté pour les historiens occidentaux. Mais le contenu de mon carnet contrevenait certainement au paragraphe 190 du Code Pénal de la Russie soviétique sur la « Propagation des inventions mensongères qui menacent le système d’Etat soviétique ». Si l’existence de ce carnet était parvenue aux oreilles du KGB, je n’aurais plus connu la paix. Heureusement, le système soviétique s’écroula avant.
En 1985, Gorbachev arriva au pouvoir annonçant une période de « glasnost » (ouverture) et de « perestroika » (reconstruction). J’organisai tout d’abord des clubs politiques indépendants et des rassemblements anti-communistes dans ma ville. Je démissionnai de mon travail où j’étais tenu au secret militaire (le KGB conservait alors tout son pouvoir et j’aurais pu très facilement, même à tort, être accusé d’espionnage). Je devins alors chargeur de charbon dans une salle des chaudières pour un maigre salaire mais beaucoup de temps libre. Et les cinquante roulements de 24 heures me protégeaient contre l’accusation de crime de « parasitisme ». Mais il ne fallut pas longtemps au KGB pour me retrouver à mon nouveau travail. En l’absence de charges d’espionnage, ils cachèrent un petit sac de « substance blanche poudreuse » (c’est-à-dire de drogue) dans la salle des chaudières. Ironiquement – et heureusement – ils oublièrent un détail : de vérifier mon emploi du temps. La chaudière fut fouillée, mais pas en ma présence. Un signe que le système soviétique se désintégrait rapidement.
En 1988 je pus publier quelques articles dans des journaux locaux, basés sur mon étude du pacte Molotov-Ribbentrop, et j’en donnai une lecture à l’université locale.
Ce n’est qu’au début des années 90 que les informations commencèrent à filtrer des archives militaires, confirmées par une poignée de documents. A peine une poignée, car Eltsine n’avait pas encore la décence de rendre public toutes les archives du système soviétique.
MES OUVRAGES
Rétrospectivement, il est difficile de dire ce qui me permit de voir le désastre militaire de 1941 sous un angle différent. Ce fut certainement une étude statistique intitulée « le sceau du secret est tombé », publiée par la Direction des Généraux de l’Armée Russe pour l’Histoire Militaire.
Pour la première fois, les pertes totales de l’Armée Rouge avaient été analysées et détaillées en mois en années, selon le front et le type d’opération. Officiers soviétiques orthodoxes, les auteurs de l’étude n’avaient pas du tout l’intention de contrevenir au paragraphe 190 du Code Pénal et de « menacer le système soviétique ». Mais quand je m’attaquai à ces montagnes de chiffres avec ma calculatrice, il fut impossible de ne pas remarquer le fait que pendant l’été 1941, le nombre de soldats de l’Armée Rouge qui furent faits prisonniers ou qui désertèrent, était plusieurs fois plus important que celui des tués et des blessés.
Par exemple sur le front Sud-Ouest (l’Ukraine), le nombre des soldats perdus dépassait dix fois celui des morts, et sur le front Central (Biélorussie), onze fois plus. Quelle armée en guerre peut subir de telles pertes ? L’étude statistique montrait que pendant le deuxième semestre de 1941 l’Armée Rouge perdit 6 290 000 petites armes. Qu’est-il donc arrivé aux excellentes armes soviétiques ? Défaut technique ? Pour six millions d’armes? Ou bien ces millions d’armes, ces dizaines de milliers de tanks et de cannons furent-ils abandonnés en masse par les soldats de l’Armée Rouge dans la panique de la fuite?
C’est alors que se forma mon hypothèse, et suivirent de nombreuses années de recherches et d’études de documents pour comprendre ce qui se passa lors des batailles de 1941. Mon hypothèse devint la ferme conclusion, vérifiée par des documents et des faits, que la cause principale du désastre militaire de 1941 (qui causa des millions de morts) n’était pas la supériorité numérique allemande ou la qualité de leur armement. C’était bien plus simple, et plus terrible : après les premiers coups de feu, l’Armée Rouge devint une masse ingouvernable de gens armés qui se transforma soudain en d’interminables colonnes de prisonniers de guerre désarmés.
Cette conclusion ne contredisait pas seulement toutes les anciennes thèses de l’historiographie soviétique, elle détruisait de la même façon la légende héroïque du « soulèvement patriotique », de « l’héroïsme de masse » et de « l’unité monolithique de la société soviétique ». Deux générations soviétiques ont été élévées avec cette légende. Ce mythe entretenait (et entretient toujours) la justification des méfaits de Staline : oui, c’était un tyran cruel, oui il a assassiné beaucoup d’innocents, mais « c’est grâce à lui que nous avons gagné la guerre ».
J’ai nommé mon premier livre Le tonneau et les cercles. Les planches d’un tonneau sont tenues ensemble par des anneaux de fer. Ôter les anneaux causerait la désintégration du tonneau et la perte de tout son contenu. Pour moi, l’empire de Staline et son immense armée, fermement maintenus par les cercles de la terreur et du mensonge, rappelle un tonneau : paraissant indestructible de l’intérieur, mais condamné à la destruction après le premier coup puissant de l’extérieur.
Je terminai mon livre en avril 2003. Malheureusement, 32 éditeurs rejetèrent mon manuscrit, tout comme 14 autres en Ukraine, autre grand pays russophone. Le quinzième éditeur, « Renaissance », dirigé par I. Babik, prit le risque et imprima six mille copies qui furent très rapidement vendues. Ensuite P. Bystrov, le PDG de « Yauza » (la filiale de EXMO, le plus grand éditeur russe) édita ce même livre en Russie sous le titre 22 juin. Cinq autres éditions suivirent, toutes écoulées en l’espace de trois semaines. Etonnament, Babik, Bystrov et moi sommes des ingénieurs aéronautiques de formation. Il faut croire que notre « regard de haut » commun est bénéfique pour l’historiographie moderne.
Mon bestseller Le tonneau et les cercles rencontra un lourd silence de la plupart des périodiques et des historiens militaires officiels, mais fut largement débattu dans les quelques medias d’opposition restant et dans des forums sur internet. S. Gedroits explique dans l’édition de décembre 2007 du magazine “Zvezda” pourquoi les historiens d’état détestent mes livres : « Bien sûr, Mark Solonin n’est pas le seul agent de cette révolte intellectuelle. Mais ils (les historiens d’état) le détestent particulièrement pour son talent de conteur alors qu’il est totalement incontestable : chaque ligne (littéralement!) est appuyée par des faits et des références... »
Je fus encouragé par Viktor Suvorov1 quand il dit dans une interview radiophonique : « Permettez-moi de profiter de l’occasion pour exprimer toute ma gratitude à Marc Solonin, de lever mon chapeau et de m’incliner devant lui... Quand j’ai lu les ouvrages de Marc Solonin, j’ai compris ce que Salieri a dû ressentir et j’ai pleuré… Je pense que Solonin a réalisé un exploit scientifique, et que ce qu’il a écrit est une pierre d’angle du fondement de l’histoire de la guerre qui sera écrite un jour... ». Suvorov est particulièrement important pour moi en raison de mùa critique de son explication des défaites colossales de l’Armée Rouge. Mais je soutiens complètement sa thèse selon laquelle l’URSS, tout comme le Troisième Reich, est l’initiateur de la Seconde Guerre Mondiale.
Le succès de mon premier livre me permit de continuer mes recherches. En 2006, Les terrains d’aviation paisiblement endormis fut publié. Le titre du livre moque le mythe de la pacifique armée de l’air soviétique. Je montre qu’elle ne fut pas décimée au sol par les premiers assauts d’une Luftwaffe traîteresse. La raison des pauvres performances soviétiques est, comme pour ses camarades de l’armée de terre, leur réticence à se battre. J’analyse aussi les batailles aériennes sur le front germano-soviétique lors des premières journées de la confrontation et je les compare avec les batailles françaises, néerlandaises et la bataille d’Angleterre de mai 1940. Quelques 170 pages (le tiers du livre) traitent d’aérodynamique, d’armement et des tactiques de combat du début de la seconde guerre mondiale. A ma connaissance, je suis le premier à donner aux lecteurs – même à ceux qui n’auraient pas de connaissances technologiques – les connaissances de base pour comprendre mes ouvrages et d’autres sur l’aviation de cette période.
Mon livre suivant, 23 juin, le jour M analyse la planification militaire soviétique. Je développe (à l’appui de nombreux documents et témoignages) une des thèses de Suvorov : Staline préparait une grande invasion de l’Europe pour juillet 1941 mais il fut devancé par Hitler.
L’histoire de la seconde Guerre Finno-Soviétique, qui ne fut qu’abordée dans Le tonneau et les cercles, fut approfondie et parue en 2008 sous le titre 25 juin : stupidité ou agression ?. Je tentai de reconstruire l’histoire des tentatives incessantes (et pour la plupart infructueuses) de Staline de soumettre la Finlande.
Puis en juillet 2008 parut Tordre les esprits dans lequel j’exposai et réfutai les falsifications, soviétiques et contemporaines, de la tragique histoire de la Grande Guerre.
Mes livres se sont vendus à plus de 150 000 exemplaires en russe, ont depuis été tranduits et publiés en Slovaquie et en Pologne, et le seront bientôt en Estonie et en République Tchèque. Je suis à présent à la recherche de traducteurs dans d’autres langues.
1. La Grande Guerre Patriotique est le nom que l’URSS donna à sa participation à la Seconde Guerre Mondiale. L’invasion de la Pologne et de la Finlande en 1939 et l’annexion de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lithuanie et d’une partie de la Roumanie en 1940 furent nommées des « campagnes de libération », pas des guerres. Ainsi la guerre « patriotique » ne commença que le 22 juin 1941, avec l’invasion de l’URSS par l’Allemagne.
2. Journal official principal en URSS (la publication privée de livres et de périodiques était illégale).
* Auteur russe pour qui l’URSS est l’instigateur de la Seconde Guerre Mondiale. Son livre Le brise-glacefut publié à des millions d’exemplaires, dans plus de trente langues.